Entretien avec Sara Elouadi : L’actionnariat salarié, un dispositif à promouvoir – l’exemple marocain

Bonjour Madame Sara Elouadi, je vous remercie de nous accorder cet entretien aujourd’hui.

Je rappelle que vous êtes Enseignante-Chercheuse à l’Université Hassan II de Casablanca au Maroc, consultante formatrice au sein du cabinet Empowerment Management et passionnée par le sujet de l’actionnariat salarié.

L’actionnariat salarié est généralement mis en avant comme un mode de resserrement du lien social dans l’entreprise et un outil de partage des fruits de la croissance. En cette période d’incertitude économique quel serait votre conseil aux entreprises ? Attendre des jours meilleurs ou se lancer dans l’aventure du partage du capital avec ses salariés ?

La pandémie du Corona Virus a infligé des dommages financiers permanents aux entreprises et les contraint, malheureusement, à envisager les pires scénarios pour éponger les problèmes de liquidités. Afin de réduire le coût social de la crise et préserver les emplois, les entreprises sont appelées, plus que jamais, à agir solidairement avec leurs employés par la promotion de l’actionnariat salarié. C’est le moment opportun, pour les entreprises, de se lancer dans l’instauration et le développement des plans de participation afin de jouir des vertus et valeurs de l’inclusion financière des salariés.
Il s’agit d’organiser la reprise des entreprises en difficulté par les salariés en utilisant l’endettement bancaire conformément au modèle ESOP américain parfaitement adapté aux PME en crise.
Ce dispositif vertueux présente plusieurs avantages : d’abord, il vise à injecter des fonds dans le capital des entreprises fragilisées par la crise. Ensuite, il permet aux salariés de devenir actionnaires sans engager leurs économies personnelles. Et enfin, le caractère inclusif des ESOP permet une meilleure cohésion et une amélioration des comportements organisationnels.

Selon vous, quels sont les freins au développement de ce dispositif qui peine à se développer dans bien des pays et en particulier au Maroc ?

Au Maroc, la pratique de l’actionnariat salarié reste largement méconnue et les entreprises n’offrent pas facilement des parts de capital aux salariés. En effet, les opérations d’actionnariat salarié sont généralement réservées aux grands groupes et aux grandes capitalisations boursières. Récemment, la Banque Centrale Populaire (BCP) et Attijariwafa bank ont renforcé leur actionnariat salarié par des augmentations de capital réservées aux salariés. Chez Attijariwafa bank, la part des salariés est portée à 3,65% après l’opération de 2,4 milliards MAD (220 millions d’euros). Les dirigeants mettent en avant la volonté de consolider les liens avec les salariés et d’améliorer leur sentiment d’appartenance.
Aussi, le leader marocain de la téléphonie (Maroc Telecom) a annoncé une récente offre publique de vente à hauteur de 0,3% de son capital (soit 16,7% de la taille de l’opération) au prix de 117,7 MAD (10,8 EUR) contre 125,3 MAD (11,5 EUR) pour le grand public.
Les filiales de groupes étrangers se distinguent clairement dans la pratique de l’actionnariat salarié avec une bonne récurrence, autour de 8 à 9 offres par an sur les 4 dernières années.
Au cours du premier semestre de 2019, 7 groupes internationaux ont activé ce mode d’actionnariat. Il s’agit du Crédit Agricole, Veolia, Société Générale, Tui, Vinci, Total et Airbus SE.
Par exemple, le 24 septembre 2019, l’Autorité marocaine des marchés de capitaux (AMMC) a informé le public que Veolia Environnement avait mis en place une importante campagne d’actionnariat salarié pour 140 000 salariés du groupe dans 40 pays dont les filiales marocaines. Les dirigeants mettent en avant la volonté de renforcer les liens des salariés avec leur entreprise en les associant à son capital et à sa performance.
L’actionnariat salarié ne semble pas être un dispositif ancré dans les pratiques des entreprises marocaines malgré les textes législatifs qui l’encouragent (loi de finances 2013).
Nous pensons que le principal frein est d’ordre cognitif, il y a une véritable méconnaissance des avantages de l’actionnariat salarié au Maroc. En effet, la pratique est restreinte et ne concerne que les grandes entreprises marocaines et les entreprises multinationales. Aussi, il faut noter que le tissu économique marocain est composé de près de 90% d’entreprises familiales. Ces entreprises se caractérisent par une forte culture de la confidentialité et un refus viscéral de l’ouverture du capital qui émanent de l’appréhension de la montée en puissance du pouvoir des salariés et ainsi la dilution de celui des dirigeants.

Quels pourraient être les leviers, les moyens pour encourager les entreprises à mettre en place ouvrir leur capital à leurs salariés, et en particulier les PME ?

Nous pensons, qu’il est possible de promouvoir l’expansion de l’actionnariat salarié en adoptant un triple plan d’actions. D’abord, il faut accentuer la communication et la pédagogie autour des effets salutaires induits par l’actionnariat salarié en sensibilisant les dirigeants, les salariés et les prescripteurs professionnels.
Ensuite, le monde académique est appelé activement à agir dans ce sens en consacrant davantage de recherches scientifiques à l’étude des effets de l’actionnariat salarié sur la performance individuelle et organisationnelle.
Et enfin le législateur marocain doit accompagner et encourager l’adoption de l’actionnariat salarié en mettant en place un cadre juridique incitatif et adapté à toutes les formes d’entreprises, notamment, les PME et les TPE qui représentent une part prépondérante de l’économie marocaine.

Entretien réalisé par Patrick Bourdon, co-fondateur de Shareweez (www.shareweez.com)


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